Chronique 1 – La rencontre

1- La rencontre


La première fois que je l’ai rencontré, on aurait dit une âme en peine À le regarder, on aurait cru que le sort du monde pesait sur ses épaules. Pas très rembourrées les épaules, celles d’un intellectuel souffreteux et drôlement frêle. Je ne vous l’ai pas encore dit mais j’attire les confidences et les malheureux. Je me demande si j’attire les malheureux ou si tout simplement actuellement, il y a tant de malheureux que l’on ne peut faire autrement que de les attirer. Mais celui-là battait des records. Il était dans un hôpital dans une salle d’attente, mais j’aurais pu le remarquer aussi dans une gare. Il faisait partie du décor de ces endroits impersonnels qui sont remplis de gens plus ou moins absents d’eux-mêmes qui ne se parlent pas et qui sont complètement absorbés par leurs propres pensées. Il avait le regard tellement tourné vers l’intérieur qu’il a fini par attirer mon attention. Ces personnes produisent l’effet suivant, elles finissent par s’imposer par leur totale absence au monde. Et les plus curieux ou les plus intéressés par les autres et j’en suis, finissent par leur porter attention. Assis, il regardait ses mains et respirait profondément. Je dirais qu’il soupirait. S’il relevait la tête, son regard vide se portait sur le mur nu de la salle, couleur kaki passé, en fait , le mur était d’un vert approximatif dont sont peints les murs des édifices publics qui n’ont pas été repeints depuis des décennies. A part la crasse et les coulisses sur ce mur, je me demandais ce qu’il pouvait bien voir. Ses vêtements étaient propres mais usés et leur couleur elle aussi passée Il aurait voulu être invisible qu’il n’aurait pas fait autrement. Pas d’attaché case à ses pieds, pas non plus de sac à main., pas de journal non plus ni une revue des années 70 pour occuper son temps d’attente. Il avait choisi une portion de la salle un peu plus à l’écart, où, sans se cacher, l’on pouvait passer inaperçu. Sur sa chaise inconfortable, les salles d’attente se spécialisent dans la mise à la disposition des clients en attente des chaises toujours trop dures, la plupart du temps trop étroites ou pas assez profondes, souvent branlantes qui, lorsque l’on les voit de loin, promettent tout le confort et qui, à l’usage, dévoilent leur véritable nature tout à fait étriquée.

Sur cette chaise inconfortable, regardant ses mains il soupirait, posant parfois un regard absent sur le mur tout aussi vide que semblait être son univers.

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